[Achevé]Guillaume de Rochebrune - Thomas Van de Prüijt

Après que Lafleur avait lancé une pièce de vingt-cinq centimes brésiliens pour décider qui entamerait cette joute, Guillaume, qui en sortit vainqueur, s'épousseta un peu, s'accorda le temps de reprendre ses esprits puis lança, avec de plus en plus d'assurance dans la voix, l'attaque de ce duel :

Monsieur, comme d'aucuns perdent le goût du vin
Vous devrez oublier feu vos mondanités,
Car votre probité tissée de fil divin
Sera tantôt de boue et de honte jaspée.

Armez-vous de rigueur, téméraire serpent
Signant ici son jour de sottise insensée!
L'hésitant est de ceux que par chez moi l'on pend
Et du haut du trimètre et du fond du fossé!

Illustre Crotale Holandais Messages : 15 Date d'inscription : 12/01/2008

Thomas recula en encaissant les deux quatrains de plein fouet. Il vacilla mais resta debout et répliqua.

Force est de constater, que vous n'avez jamais
De ce gibet sinistre éprouvé les tourments.
Et je ressens en vous alors qui sommeillait
Une avide mangouste affamée de serpents!

Mais mon cuir est coriace et mon venin acide.
Guigner ma peau Guillaume est bien une gageure.
Gagiez vous en goguette et sans l'aide d'un guide
Au sein de mon antre me mettre au pied du mur?

Péchant par orgueil, Guillaume n'avait pas prévu une si habile contre-attaque, laissant sa garde à peine haute, et c'est de justesse qu'il l'évita grâce à un "e" placé à la césure du dernier vers déséquilibrant le coup. Il glissa, mais sut retrouver son équilibre, et réfléchit rapidement à la façon de riposter avec dignité.

Mûs rapidement par quelque zèle alarmé
Vos vers sont maîtrisés - vous progressez, c'est bien.
Mais je sais le moyen de bientôt désarmer
Ces coups. Le mur, monsieur, derrière vous retient.

Vous êtes retranché mais tous vos déploiements
De force sont vidés de toute leur substance
Ils vont vous enserrant, et dans quelques moments
Vous allez regretter vos futiles errances.

Illustre Crotale Holandais Messages : 15 Date d'inscription : 12/01/2008

Thomas s'attendait à une estocade assassine cette fois-ci et il se positionna en retrait pour contrer d'une volte aussitôt, dans le but de prendre son adversaire par surprise et rééquilibrer une situation si mal engagée.

Rançonneriez vous donc mon esprit de ses lettres,
Ou bien de sa patience? Je ne puis me résoudre
A vous savoir naïf, mais c'est le cas peut-être...
Je jouais avec vous, vous bruliez d'en découdre.

Rapace, vous riiez car de mon propre aveu
Ma métrique imparfaite avait déchu mes vers...
Il n'y a qu'une poule à donner tant aux "e".
Vos ergots maladroits ne sont hélas des serres...

Guillaume, ayant trouvé le temps de se rétablir lors de sa précédente attaque, ne s'en laissa point conter par la fourbe riposte, et préféra aussitôt reprendre l'initiative du combat par des vers qu'il se pouvait bien cadencer cette-fois ci, n'ayant plus à faire de longs enjambements pour se retrouver droit.

Servez-vous une idée alors qu'elle est confuse?
Êtes vous compagnon d'un équipage épars?
Respectez l'art des vers! Ma patience s'use
Et la vôtre a compté quelqu' "e" de trop... c'est rare...

Retournez sur vos bancs! Gagnez votre coquille!
Laissez la rixme à ceux qui en savent les règles!
D'une simple pression, mes serres, mes faucilles
Sauraient vous faire choir comme un épi de seigle!

Illustre Crotale Holandais Messages : 15 Date d'inscription : 12/01/2008

Thomas maudit intérieurement une fois de plus cette règle du "e" muet que dans son impatience il avait ignorée... Reculant sous les estocs précis et puissants de son adversaire, il tenta désespérément une attaque.

C'est glorieux d'attaquer sans cesse ce travers!
Traitant traitreusement mes "e" très maladroits,
Votre trident me troue et transperce mes vers.
J'ai trouvé votre tort en votre esprit étroit!

Je reculais alors, sous vos assauts féroces,
Or le vent a tourné, sentez vous le Zéphyr?
Venez donc voir et vaincre un adversaire véloce,
Et voguant voile au vent à bord de son navire!

Constatant avec satisfaction qu'il avait effectivement repris l'initative du duel, les seuls coups portés par l'adersaire n'étaient destinés qu'à se mettre en position de défense, Guillaume entreprit de se fendre de passes rapides et assassines; décidé à porter le coup de grâce.

Virez de bord, babille, ou buvez le sel rance
De la mer sans couleur qui s’étend sous vos pieds !
Sabordez le bateau de vos bêtes béances,
Et les bulles bilées qui crèvent la criée ;

Votre voile est trouée, l’ancre enfouie dans le port,
Vous avez égaré l’air et votre guindeau !
Insipide accalmie! Porté par l’air du Nord
J’écrase sans efforts vos quatrains de lourdaud !

Illustre Crotale Holandais Messages : 15 Date d'inscription : 12/01/2008

Thomas reçu les derniers mots directement à l'égo. Cet homme qui n'était pas un capitaine avait montré de plus de science sur les navires que lui. Le souffle court, le débit haché, adossé au mur, il répliqua de ses dernières forces.

Dominez vos ardeurs! De grâce épargnez-moi
Fanfaronnes bravades et saillies arrogantes.
Orgueilleux, insolent, vaniteux, fier à bras!
Je n'ai que trop ouï vos stances suffisantes!

Ô rage! Ô affliction! Je ne peux rétorquer
A vos vers assassins! Je déplore en cette heure
Et mon vocabulaire et l'infériorité
De mes strophes! Monsieur, vous êtes ici vainqueur.

Thomas s'inclina gravement. Après un instant, il se redressa et sourit à son adversaire, lui tendant sportivement la main.

D'abord surpris, Guillaume sorit et serra de bonne grâce la main de son adversaire.

La bataille était belle et les vers harmonieux
Mon plaisir était grand! Le vôtre, mon ami?
Vous fûtes honorable, et qu'espérer de mieux
La rime avant le vin! Quelle belle alchimie!

Il revint, escorté du Hollandais, jusque dans la buvette, et lui glissa durant le trajet :

Et quelle musique! Vos féroces allitérations m'ont fait pâlir plus d'une fois!

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